Si l’on cherche un point commun entre La Crau, Carqueiranne et Le Pradet, communes du territoire touristique du Pôle Est chapeauté par Hyères, un peu d’observation et de perspicacité permettront au quidam de citer la viticulture, l’ombre des platanes, les flancs sinueux des collines dont les sommets et escarpements conservent tantôt les ruines d’un fort, tantôt une chapelle, tantôt une mine. Soit.

Et si nous vous apprenions que ces trois petites villes (cumulant 40 000 habitants) ont un point commun plus original au niveau historique ; un point commun que l’on pourrait qualifier « d’administratif »…

Eh bien voilà tout : ces trois communes n’en étaient pas ! Leur accession au rang de commune à part entière date du XIXè siècle. La Crau et Carqueiranne étaient des hameaux dépendant de Hyères, Le Pradet de La Garde. Tels des individus tentant de s’émanciper du foyer familial, ces trois hameaux menèrent des combats pour leur indépendance avec comme armes la patience et une kyrielle de rapports, commissions et palabres. Leurs luttes furent celles de toute une population persévérante, quelquefois sous la bannière d’un homme. Et ces luttes administratives finirent par payer.


La Crau

L’administration française, on le sait, n’est pas une sinécure. Et le très long combat des Craurois sur deux à trois générations pour leur émancipation de la maison-mère hyéroise prouve que cela ne date pas d’hier. En effet, il fallut un demi-siècle de joutes pour la section devînt commune.
Rappelons d’abord que c’est au XVIIIè siècle qu’un embryon de village voit le jour dans la plaine, à proximité du canal Jean Natte, source de vie irriguant les champs. Quelques bâtisses portent encore sur le linteau les dates de construction. La production de légumes et de fleurs constitue alors l’activité principale et le village apparaît autour du carrefour Nord-Sud, Est-Ouest qui demeure le point central de la localité.
La première demande date du 26 thermidor de l’an VIII (14 août 1800 pour les allergiques au calendrier révolutionnaire), suivie d’une seconde deux ans plus tard. Le sous-préfet de Toulon y oppose une fin de non-recevoir. Qu’à cela ne tienne ! Jamais deux sans trois, les habitants présentent en 1808 une pétition pour que La Crau soit érigée en commune distincte. Ils mettent en cause l’éloignement, particulièrement problématique lors des rigueurs de l’hiver ou des chaleurs estivales, l’absence d’un receveur des contributions indirectes et celle d’un officier d’état-civil qui les obligent à venir fort souvent à Hyères. Le conseil municipal de Hyères refuse, considérant le projet de délimitation de la nouvelle commune comme follement exagéré. A Toulon, le sous-préfet déclare dans son rapport qu’il n’y a pas lieu de délibérer, invoquant notamment que La Crau n’est pas éloignée de son chef-lieu (7 kilomètres) et que sa population est peu importante et que (accrochez-vous bien) compte tenu de cette population essentiellement agricole, l’on trouverait difficilement un maire et un adjoint doués de la capacité nécessaire pour en remplir les fonctions. La demande est repoussée mais le conseil municipal hyérois reconnaît la valeur des réclamations et adresse une supplique à l’autorité supérieure pour l’établissement aux hameaux d’un adjoint spécial et d‘un commis aux droits réunis. La requête est acceptée et les deux emplois créés.

Une génération passe. 1827 : les Craurois lancent un nouvel assaut. Autre conseil municipal, autre sous-préfet, cela se tente ! L’argument principal est l’urgence de la construction d’une église proportionnée à la population qui croît rapidement. Le conseil repousse, pointant les conséquences funestes de deux administrations qui devraient exercer une surveillance égale sur le canal des moulins (le Béal ou Canal Jean Natte aujourd’hui) dont jouissent un grand nombre d’habitants des deux communes et qualifie d’erroné et gigantesque le plan dressé pour marquer la circonscription d‘un nouveau territoire. L’affaire traîne en longueur. Puis le préfet cette fois-ci demande différents états qui doivent être envoyés au ministre. C’est sur ce dernier que va buter la requête. Le ministre de l’Intérieur refuse l’érection des hameaux de La Crau en commune en 1829. Qu’importe ! Les Craurois ont déjà montré que la persévérance est avec eux.
Avant d’évoquer le prochain acte, une honnête question doit se poser. Les Craurois sont-ils trop gourmands ? Car force est de reconnaître qu’en effet, dans les quinze années qui suivent, des mesures et des travaux vont donner satisfaction à nombre de revendications exposées dans les demandes. Faut-il alors voir de l’ingratitude lorsqu’en mars 1843, une nouvelle pétition (rien moins que la cinquième demande) est présentée au préfet ? Les 450 signataires, principaux propriétaires, s’appliquent à exposer les motifs en leur faveur : toujours les sept kilomètres qui les séparent d’Hyères, une population désormais forte de 2410 habitants (dont 700 électeurs) dont 1819 agglomérés au centre, les droits d’octroi qu’ils supportent et dont ils désirent eux-mêmes appliquer le produit à leurs besoins locaux, les avantages qui découleront de cette indépendance pour une localité où les éléments de progrès social sont très nombreux.

En outre, les « frondeurs » font valoir que le village possède désormais une église bâtie (la municipalité hyéroise a fait construire l’église actuelle, la chapelle étant devenue trop petite), que les ponts construits récemment sur le Gapeau et le Réal Martin relient facilement La Crau à la vallée de Sauvebonne et que les habitants veilleront à l’entretien du précieux Béal, au contact duquel ils vivent en permanence, qui depuis près de quatre siècles permet l’arrosage des campagnes. Enfin, ils citent nombre de petites communes du Haut-Var bien moins peuplées et moins dotées en termes d’infrastructures. Les choses semblent cette fois sérieuses. Un arrêté préfectoral ordonne l’ouverture d’une enquête…en 1849 ! Il faut dire que la France traverse une période assez trouble depuis plusieurs décennies.

Alors, ingratitude crauroise ?

La délibération du 9 août 1849 qui se tient en mairie d’Hyères à 14h tend à nous suggérer une autre analyse de cette affaire. Une commission fut créée suite à cette nouvelle pétition. Les mots qui suivent sont la reproduction exacte de ceux prononcés par André Barneoud, rapporteur de la dite commission :

Messieurs, notre commission a recherché avec le plus grand soin les causes qui peuvent motiver la demande faite par les habitants de la section de La Crau en distraction de la commune d’Hyères pour former une commune distincte et séparée. Cette demande, formulée en 1808 et adressée de nouveau en 1827 à l’autorité supérieure a été appuyée à diverses époques sur des motifs différents. […]Nous arrivons maintenant, messieurs à la pétition de 1843 pour laquelle vous êtes appelés à donner votre avis. La commission a compulsé et étudié avec le plus grand soin tous les documents mis à sa disposition. Elle a examiné froidement et sans pression les avantages et les inconvénients qui pourraient résulter d’une séparation. Elle vient, par mon organe, vous faire part de ses travaux et de ses propositions. […]Quant à l’accroissement si rapide de la population des hameaux de La Crau, notre commission s’en est applaudie comme vous vous en applaudiriez car c’est une des nombreuses preuves des encouragements de toute espèce que les administrations successives de la ville d’Hyères ont toujours prodiguées à ceux qui aujourd’hui veulent se séparer de la mère patrie.
Quant à l’application de droit d’octroi supportés par les pétitionnaires, votre commission s’est convaincue que de tout temps, non seulement il a été dépensé pour les hameaux de La Crau au-delà des sommes provenant de cette source de revenu mais encore que toutes les demandes et indications de besoins légitimes faites par les représentants de ces hameaux ont toujours été favorablement accueillies par les différents conseils municipaux et les travaux exécutés sitôt et souvent même avant que l’état financier de la commune ne le permît. […] Vous remarquerez, messieurs, que successivement les principaux motifs allégués par les demandeurs disparaissent par la réalisation des vœux qu’ils avaient exprimés et qu’il ne reste plus qu’une seule chose, une satisfaction d’amour-propre.

Nous reconnaissons volontiers que La Crau renferme des hommes d’une haute intelligence et d’une capacité incontestable, plusieurs ont servi la France avec éclat dans différentes carrières qu’ils ont parcourues. Nous avons le droit d’en être fiers puisque nous appartenons encore à la même famille. Les hameaux de La Crau, messieurs, jouissent de tous les avantages d’une commune bien constituée sans avoir à supporter des charges. Ils sont administrés par un adjoint spécial qui est investi de toutes les attributions des maires, deux garde-champêtres y font la police. Ils possèdent un burau, des contributions indirectes, des écoles gratuites pour les enfants des deux sexes, en un mot ils ne jouiront pas du plus petit surcroît de bien-être quand ils auront substitué un nom à un autre, quand ils s’appelleront commune au lieu d’être désignés par le titre de « Section de la commune d’Hyères ». Ce nouveau titre constituera pour la nouvelle administration des frais plus considérables. Reste ce que j’ai appelé une question d’amour-propre.
Notre commission, messieurs, a compris ce sentiment d’indépendance qui tend à se développer tous les jours davantage chez les populations. Tout en déplorant le vertige qui s’est emparé de ceux que nous avons toujours considéré comme nos frères, vertige qui leur fait abandonner la réalité pour courir après l’ombre, notre commission croit devoir proposer de laisser à la sagesse de l’administration supérieure le soin d’admettre ou de rejeter la demande en séparation.

Cette dernière phrase saute aux yeux comme une évidence. Elle semble être celle d’un peuple qui refuse qu’une partie de lui-même fasse sécession ! Celle d’une mère s’aveuglant devant la volonté de l’enfant dont elle a pris soin de voler de ses propres ailes !
Il y a une part d’amour-propre dans chaque désir d’auto-gestion, très certainement. A échelle supérieure, l’on pourrait comparer avec le fameux droit aux peuples de disposer d’eux-mêmes.

Bref, de fil en aiguille, l’année 1853 voit finalement la concrétisation de cinquante ans de démarches avec la loi impériale du 4 juin qui « distrait de la commune d’Hyères la section de La Crau pour la placer sous une administration municipale distincte ».

Louis-Marius Barbarroux, 51 ans, bourrelier de profession, adjoint spécial depuis octobre 1852 sera le premier maire de la nouvelle commune.
A cette date, bien des Craurois qui furent parmi les premiers à porter ce désir d’émancipation sont au cimetière. Ce sont leurs enfants et petit-enfants qui célèbrent l’autonomie de la commune.

C’est incontestable, Hyères a fait La Crau sur bon nombre de points et longtemps encore, l’on trouvera dans les journaux et les publicités la mention de « La Crau d’Hyères ». Mais le travail prospère de la terre, ce puissant socle fondant le sentiment d’appartenance d’une même communauté désireuse de s’administrer, et le même horizon partagé chaque jour à l’écart de l’autorité gestionnaire, ne pouvaient que déboucher sur un désir de liberté.
C’est selon ce même axiome que d’autres hameaux vont mener une démarche similaire.


Le Pradet

« Lou Pitchoun Prat » fut un faubourg jusqu’au jour où, là encore la distance et l’accroissement de sa population débouchèrent sur des velléités d’indépendance.
Le Pradet était un faubourg autrefois rattaché à La Garde. Cependant, en 1791, le cœur du Pradet devait accueillir une place et a donc été racheté. Cette place était dans un premier temps destinée à la construction d’habitations. Cependant en 1841, entre les maisons déjà construites à cet emplacement, on décida d’établir une place publique. C’est ainsi que naquit la place Flamenq.
Ensuite, il faut se reporter au procès-verbal des délibérations du Conseil Général du Var en date du 28 août 1851 pour appréhender les revendications pradétanes quant à ses désirs d’émancipation.
Pour justifier leur demande, les habitants exposent que, sous le rapport des intérêts matériels, cette section se trouve systématiquement sacrifiée à son chef-lieu. Ils se plaignent notamment de ce que l’administration municipale néglige de faire exécuter au Pradet des travaux indispensables et urgents, tels que ceux pour la réparation de l’église et l’agrandissement du cimetière. Ils allèguent encore la distance qui les sépare du chef-lieu, laquelle, pour certaines habitations, est supérieure à 9 kilomètres. Enfin, ils affirment que les communications entre Le Pradet et La Garde sont quelquefois interrompues par l’effet des inondations.


Le conseil municipal de La Garde s’oppose formellement à la création de la nouvelle commune : dans sa délibération du 18 mai dernier, il s’attache à réfuter les assertions émises par les représentants du Pradet, en ce qui touche la distance entre les deux localités, la difficulté des communications et la gestion des intérêts communaux.
Toutefois, le conseil d’arrondissement émet un avis favorable à la séparation, avis principalement motivé sur l’inconvénient de maintenir sous la même administration deux population que divise une mésintelligence des plus vives.
Et l’orateur de préciser un élément singulier : sur les 2880 gardéens, 782 vivent à La Garde…et 947 au Pradet (606 à Ste Marguerite et 545 à St Michel). En clair, la section possède plus d’habitants que son chef-lieu si l’on ne compte pas les deux autres faubourgs ! La commission, à l’unanimité, propose donc l’adoption de la demande du Pradet tendant à l’ériger en commune.
Pour des raisons obscures, la chose n’aboutit pas. Il semblerait que l’opposition de La Garde l’ait emporté, du moins si l’on s’en fie à un témoignage postérieur qui tiendra ici le rôle de source principale quant aux événements des quarante années suivantes. En effet, dans Monographie de la commune du Pradet, notice historique, climatologique, géologique et viticole, publié en 1898, Vincent-Louis Trémellat écrit :
1856, Mr Chevalier, capitaine de vaisseau, alors propriétaire du château de l’Esquirol, fait des démarche actives en vue de l’érection du Pradet en commune. Elles étaient sur le point d’aboutir lorsque, dit la chronique, l’influence d’un de ses chefs habitants La Garde, le réduisit au silence. Néanmoins, Mr Chevalier reçut une demi-satisfaction : Le Pradet fut érigé en section avec adjoint spécial et délimitation du territoire pour le service de l’état-civil et l’exercice du culte.

C’était un pas considérable qui devait servir plus tard de base aux revendications incessantes des habitants. En effet, en 1876, une nouvelle tentative, conduite par Paul Flamenq, consul de France en Turquie, président de la Société d’Agriculture et d’Acclimatation du Var, adjoint spécial et propriétaire terrien, avec l’aide de la population entière, reprit le flambeau. La municipalité de La Garde s’y oppose avec force et obtient du gouvernement une fin de non-recevoir à l’encontre de la demande pradétane.
Mais quelques années plus tard, quand ces mêmes Pradétans suggérèrent que la gare de de La Garde fût dénommée La Garde-Le Pradet, une partie de la population gardéenne s’y opposa férocement. Ce fut le signal d’un nouveau mouvement en faveur de la séparation.

Après tout, Le Pradet possédait une mairie, l’état-civil, un garde-champêtre, des écoles, une église, une recette buraliste importante, une société musicale, un cercle, des revenus suffisants, des routes de grande communication, des marchands, des industriels. En outre, les rapports entre les habitants des deux lieux étaient quasi nuls. On n’allait pas à La Garde, pas plus que de La Garde, on allait au Pradet pour acheter ou vendre quoi que ce soit ; les deux localités vivaient séparées et l’on ne se rendait au chef-lieu que pour des affaires administratives.
Paul Flamenq allait encore se heurter à des adversaires tenaces. Pourquoi cette obstination ? Il est possible que les opposants sentissent que distraire Le Pradet de La Garde, c’était enlever à celle-ci un de ses plus beaux fleurons.
Cela aurait du sens. En 1885, dans Notice historique et statistique sur la commune de La Garde-près-Toulon, le peintre toulonnais Charles Ginoux, correspondant à Toulon du comité des sociétés des beaux-arts et membre de l’Académie du Var, écrit :
Le grand et riche village du Pradet, dont l’importance ne tardera pas d’égaler celle de La Garde, ne date pas de loin. Vers le milieu du dix-septième siècle, il n’est parlé que du quartier du Pradel. Sans doute à cette époque notre village n’était qu’un hameau naissant, composé de quelques fermes éparses. Aujourd’hui, c’est un grand village où l’on rencontre cinq usines renommées pour la fabrication des tuiles, briques et même d’objets de poterie. Il est entouré de belles campagnes.

Etait-ce donc pour des raisons économiques que La Garde ne souhaitait pas voir Le Pradet s’émanciper ? Cela en faisait sans doute partie, tout au moins.

Nous sommes alors dans le dernier virage du siècle. Flamenq chercha des appuis et en trouva auprès du député de canton Camille Raspail, puis de son successeur Jean-Baptiste Abel. Le sénateur du Var Félix Anglès, qui l’avait déjà soutenu en 1876, renouvela son concours. De plus, Mr Riquier, conseiller d’arrondissement et commissaire-enquêteur, fit un rapport favorable. Les discussions furent vives, les démarches nombreuses et actives, les brochures écrites avec passion et talent. Les articles de journaux alimentèrent et intéressèrent la curiosité publique pendant tout le temps que dura la préparation du volumineux dossier de l’affaire.

Finalement, les conseils élus donnèrent un avis favorable au pétitionnement des habitants du Pradet, les Chambres prirent ces avis en considération et une loi promulguée en juin 1894 déclara Le Pradet érigée en commune.

Les deux communes allaient désormais vivre de leurs propres ressources et entretenir des rapports de bon voisinage.
Paul Flamenq devint naturellement le premier maire de la nouvelle commune dont la population reconnaissante se fit un devoir de l’honorer en attribuant son nom à la place principale lorsqu’il mourut en 1896.


Carqueiranne

L’indépendance crauroise n’est pas sans conséquence sur le reste du territoire hyérois. Ailleurs aussi, les velléités d’auto-gestion prennent forme. De multiples facteurs contribuent à leur émergence : éloignement des services, méconnaissance des responsables quant aux lieux qu’ils administrent, sentiment de bien commun sur une partie délimitée cultivée depuis des générations.
La particularité carqueirannaise est qu’il n’y a pas de village au sens premier du terme. Le territoire comprend une multitude de hameaux et lieux-dits dont certains ne regroupent guère plus d’une vingtaine de maisons. Cette évolution s’étoffe peu à peu dans les esprits par l’érection de bâtiments symboliques propres à chaque commune. A l’été 1849, après trois ans de travaux, l’église Sainte-Madeleine célèbre son premier office. En 1852 un adjoint spécial pour Carqueiranne est présent au sein du conseil municipal de Hyères mais il faut attendre près de trois décennies pour que des structures notables s’ancrent dans le paysage. Ce sera d’abord en 1880 la création d’un bureau télégraphique décidée par le ministre des Potes et télégraphes puis en 1885, l’inauguration de l’école communale laïque mixte Jules Ferry et du bureau de poste en 1889.
Sur le plan administratif, on note en 1882 un arrêté du préfet du Var relatif à la demande de création de la commune et une enquête publique concernant l’autonomie en 1889 avec l’élection d’une commission spéciale.
Sur place, un homme va s’avérer être l’un des promoteurs les plus actifs de cette séparation. C’est Félix Rebufat, ancien agent voyer, qui n’est autre de l’adjoint spécial de Carqueiranne ! Et sa quête pour l’indépendance carqueirannaise va s’accompagner de quelques caleçonnades et coups d’éclats qui inspireront plusieurs articles à la presse de l’époque. Notons d’abord les récurrentes réclamations de ce dernier lors des conseils municipaux et dont les procès-verbaux portent la trace. En effet, l’adjoint lance fréquemment des piques au maire de l’époque, le médecin Charles Roux. L’inimitié entre les deux hommes atteint un paroxysme clochemerlesque à partir du 12 juin 1890. Personne n’ignore alors que l’ancien agent voyer se voit déjà maire de Carqueiranne. Pour l’heure, il n’est alors qu’adjoint et s’insurge qu’une lettre décachetée lui ait été envoyée sus la simple mention d’adjoint spécial à son domicile. L’édile répond que ce fait regrettable n’est pas de son fait et ne se renouvellera plus. Et de préciser que n’ayant pas la confiance de cet adjoint, il s’occupera personnellement des affaires de Carqueiranne ! Esclandre de Rebufat qui se voit d’ailleurs retirer ses délégations mais prépare le retour de flamme. Moins d’une semaine plus tard, Rebufat disparaît, lit-on dans la presse, en emportant les registres de l’état-civil !

A la fin du mois, nouvel épisode au sujet d’une question d’attribution : Roux se rend à Carqueiranne pour unir deux jeunes gens mais Rebufat refuse de livrer les registres de l’état-civil, prétendant avoir le droit exclusif d’officier pour les mariages dans la localité ! La noce se retire avec forces protestations et en maugréant, attendant sous un orme que la lutte homérique se termine. De guerre lasse, Roux laisse Rebufat célébrer le mariage…à son domicile privé ! Le parquet et le sous-préfet sont néanmoins saisis de l’affaire.

Ces divergences ne font que renforcer d’une part les souhaits d’indépendance et de l’autre ceux de se séparer de cette section dissidente ! Ainsi, les lecteurs du Hyères Journal découvrent en janvier 1894 un article assénant que Par l’érection de certaines sections indépendantes, nous serions libérés d’une charge budgétaire dont les sections de Carqueiranne et de La Londe profitent indûment, puisqu’elles se déclarent capables de se suffire à elles-mêmes. Cela, en outre, couperait court à tous les ennuis qu’engendrent toujours les divergences d’intérêts.
Le 26 novembre 1894, la Chambre des Députés mentionne à l’ordre du jour les discussions du projet de loi tendant à distraire de Hyères la section de Carqueiranne pour l’ériger en commune.Un mois plus tard, le 26 décembre 1894, la loi officialisant l’érection en commune distincte est promulguée.
Le 3 février 1895 a lieu la première réunion du conseil municipal pour organiser la commune ; s’ensuit l’élection du conseil municipal et de son maire. Félix Rebufat revêt (enfin) l’écharpe tricolore. Ce premier conseil a la volonté de créer une agglomération en la dotant d’équipements structurants qui fédéreront les divers quartiers ou hameaux (construction d’un hôtel de ville, d’une grande place publique…), bref, en créant un centre au hameau de la Trélette…

Moins de quinze ans après, la gare de Carqueiranne est inaugurée, la commune reçoit son blason et des modifications du territoire communal sont effectuées sous la forme d’échanges de terrains avec la commune de La Crau.
Quant à Félix Rebufat, il n’eut guère le temps de voir tout cela ! Il meurt quatorze mois après son élection. Un parking porte aujourd’hui son nom.

© Textes et recherches : Yannis SANCHEZ – Bureau d’informations de La Crau
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